La détresse du corps
Je n'ai pas du tout envie de reprendre.
J'ai peur du malaise. J'ai l'impression de le sentir déjà. Je mesure en pensée la pression du jean sur mon ventre, la température ambiante, le taux d'irritation des organes, et tout de suite, la tension monte et le coeur bat nettement plus vite.
Par contraste, je repense au week-end qui vient de s'écouler comme à un moment merveilleux, ensoleillé et apaisant. Je sais que vient un temps, quand le malaise s'est bien installé, où chaque instant de répit, chaque soirée, chaque heure passée chez soi, dans l'abri familier et rassurant de sa solitude, apparaît comme une bénédiction, et qu'aux pires moments de crise on s'en souvient avec tristesse, comme on se souviendrait d'une mère qui nous aurait abandonné. Parce que c'est ça, la crise ; c'est un instant où le monde nous abandonne à nous-même, enfermé dans notre corps comme dans un cachot, et où plus rien ne compte que les tortures que l'on subit dans ce cachot.
Il y a eu des périodes dans ma vie où ça se produisait tous les jours. Tous les jours. Pas forcément toujours à la même heure. Et où tous les jours, je rentrais fatiguée, déprimée, vidée de mes forces, assaillie par les larmes et persuadée que ça se reproduirait. Effectivement, ça se reproduisait. Ca s'est reproduit chaque année, jusqu'à il y a trois ans. Je pensais en être définitivement débarrassée désormais.
Finalement, le malaise m'a rejointe et une fois de plus, tout tourne autour du centre de mon corps, de ses torsions, de ses éclats. Je peux chercher des causes à l'infini ; il n'y en pas d'autre que la tête. Je peux aussi chercher des solutions ; j'en ai déjà testé beaucoup et je sais que pour ainsi dire, il n'y en a pas. Du tout. Je sais que le malaise peut impunément détruire mes journées de travail, me gâcher la santé, le moral et la vie sans que personne soit capable de me dire comment le contrer.
Je voudrais juste quitter la prison. La quitter pour toujours, et que jamais elle ne me retrouve.